Anonyme

Publié il y a presque 8 ans

J'aurais aimé ne pas être comme ça

Il est quatre heures du matin et je suis trop fatiguée pour dormir. Être
hypersensible, que de complications : à six ans, j'etais obligée d'aller
à l'école, ça m'a valu des pleurs incontrôlables, on me faisait sortir
car mes sanglots gênaient, ça m'a valu des fugues, huit ans de
thérapies, l'écheance des diagnostics capricieux : j'etais soit surdouée
soit attardée. Très mauvaises interactions sociales, je suis trop
gentille, trop timide, trop naïve, on me persecute. Aujourd'hui je suis
méfiante, aigrie et réservée, très respectée. Arrivée au collège, crise
d'adolescence : création du faux-self dans mon cas. Une aberration, un
total déni de ma nature. Après cela, les choses commencèrent à
s'arranger. J'avais accepté mon hypersensibilité, à partir de là, le
faux-self s'est mis à tomber tout seul, c'etait une merveilleuse
sensation parce que j'avais le sentiment de revoir un être cher après
des années de séparation. Mais au fond, je crois que je ne l'aime pas
beaucoup, et je fais face à une réalisation amère : je ne serai jamais
en paix, soit je suis en conflit avec le monde, soit il est en conflit
avec moi. Je déteste les gens qui se vantent d'être spéciaux, ce n'est
pas une qualité, c'est un boulet. Bon sang, que j'aurais aimé être
banale, fade, influencable et peu déterminée. Il faut toujours que j'en
fasse trop ou pas assez. Je pleure comme je respire, de joie ou de
n'importe quoi d'autre, j'ai des présentiments très forts qu'on tourne
en ridicule, je ressens tout dehors, les atmosphères, les émotions dont
les lieux sont chargés, chaque subtil changement ou détail, je ne fais
pas mes nuits dans un lit neuf, je fais de la psychanalyse de comptoir
et je me trompe rarement, je suis curieuse de tout, je veux tout savoir
et tout apprendre, je veux comprendre. Je suis susceptible, je
suranalyse, on ne me cache rien, du moins on ne peut pas se cacher à
moi. Je vois la beauté dans tout, la bonté dans chacun, une idéaliste et
une optimiste désespérée. Quand il s'agit de moi, la seule chose en
laquelle j'ai confiance est mon intelligence. Je vis vraiment mal mon
hypersensibilité, énorme besoin d'une indépendance restreinte, j'ai
rarement droit à la spontanéité et la sincérité, je veux dessiner
tellement de choses que je ne dessine rien, je veux chanter tellement
fort que je ne chante pas. On peut jouer avec mon moral. Je suis très
sensible aux substances et à mes propres hormones. Trop de sensualité,
mes amis sont mes amours, mon amour est ma vie, si bien que ses moindres
gestes m'affectent. J'ai trop d'un quelque chose en moi, ça me fait
vibrer, ça m'agite, il y a quelquechose que j'ai besoin de consommer.
Parfois je me bloque, je deviens engourdie, pour ne plus sentir. C'est
comme être nu dans une tempête de sable. Il y a définitivement ce
sixième sens, qui en inclut d'autres. Je sais que je sais beaucoup de
choses, j'ai un troisième oeil. Je ne sais pas vivre telle que je suis,
je pense être la plus hypersensible des hypersensibles, j'ai peur de moi
et de l'intensité de mes émotions, elles m'ont construite mais elles me
détruisent. J'ai peur de tenter de vivre cette particularité pleinement
et de me retrouver soit dépressive soit à l'autre bout du monde, je
finirais certainement par le fuir. Il n'est pas clément avec nous. J'en
veux aux autres de ressentir dans mon champ de sensations, je ne suis
pas l'exutoir de leurs émotions. Évidemment je pleure depuis que j'ai
commencé à écrire. Vraiment, n'aurais-je pas pu naître simple?