Anonyme

Publié il y a plus de 8 ans

Demain je serais encore là

J'ai passé la majeure partie de ma vie à me demander pourquoi je ratais
tout ce que je pouvais entreprendre, pourquoi mon rapport aux autres
était si difficile depuis l'école, pourquoi je séchais les cours presque
contre ma volonté à partir du collège, pour finir par échouer dans mes
études, faute d'aller suffisamment à la fac, pourquoi mes expériences
professionnelles et amoureuses se passaient globalement très mal,
pourquoi je cherchais obstinément à m'intégrer alors même que l'accès au
monde me semble à jamais interdit, comme si j'expiais une faute, comme
si ma simple existence était un parjure.
Pourquoi le regard des autres m'est si pesant depuis l'adolescence,
sentiment qui confine volontiers à la paranoia, pourquoi malgré cela
j'ai eu la force et la volonté de vivre des expériences extrêmes,
marginales, et dans le cadre d'une sociabilité branlante mais néanmoins
existante à certains moments. Les Rave-party à 14 ans, les mouvements
anarchistes, le mouvement gothique, tout cela je l'ai vécu en groupe,
même si je me suis toujours senti déphasé, fébrile, mais non moins exalté.
Puis l'intérêt pour la psychologie, la spiritualité, l'amour de la
poésie, de la musique classique, de la littérature romantique, vécu
aussi intensément que mes moments de déchéance, quand j'abusais de
l'alcool et que je me comportais sans dignité, essayant de singer une
sociabilité ou une séduction vaine et frelatée. Je tiens aussi à dire,
comme Schopenhauer, que le bruit a été l'un des plus grands fléaux de
mon existence. Je l'ai subi dans tous les lieux où j'ai vécu, jusqu'à
devenir fou, me battre avec mes voisins et finir au commissariat, de
nombreuses fois.
Me voilà désormais à 34 ans, errant dans la vie comme il y a vingt ans,
ayant longtemps cru à l'existence d'une autre rive mais flottant
désormais au milieu de nulle part. Ni les psys ni les lycées spécialisés
ne seront parvenus à faire dévier d'un pouce ma laborieuse destinée,
coincée entre de fausses injonctions à cultiver la sensibilité et à
s'adapter au monde, équation sans doute impossible. Mais je me dis que
quoiqu'il arrive, si je devais en mourir en implosant de l'intérieur,
cela se serait déjà produit; demain je serais encore là.